Un article par Boris Mouravieff |
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Ouspensky, Gurdjieff et les Fragments d'un Enseignement inconnuI Parler d’Ouspensky c’est parler de Gurdjieff. Et parler de Gurdjieff et d’Ouspensky, c’est parler de la Tradition ésotérique qui, sous forme fragmentaire, fut divulguée par l’un avec une aide substantielle de l’autre (1). La grande difficulté de toucher aux problèmes ésotériques consiste en ce que notre civilisation, analytique par excellence, avec sa spécialisation étendue à l’infini, est parvenue à créer une élite très cultivée, mais avec cette particularité qu’en général, l’intellectuel ne possède qu’une parcelle infime de notre Savoir. Fin spécialiste dans sa branche, il n’a que des notions sommaires du reste. Or, comme ce reste embrasse l’ensemble de la vie qui devient de plus en plus complexe et fiévreuse - et qu’il faut affronter à tout instant - parallèlement au morcellement de la Connaissance, on a créé tout un système de « boutons » afin que les pressant, l’individu obtienne les effets voulus sans passer par l’étude et le travail. En payant ce qu’il faut, bien entendu. Ainsi, l’art de vivre se résume actuellement à l’acquisition des connaissances approfondies dans un secteur étroit de l’Ensemble — ce qui donne déjà accès à la fortune et aux honneurs, et, pour le reste — à l’utilisation habile du système des « boutons » répondant à tous nos besoins. Certes, il en allait ainsi au temps même des Grecs et des Romains, mais comme le monde antique ne connaissait pas la spécialisation à outrance, le secteur des « boutons » y était minime alors que celui des connaissances approfondies embrassait la quasi-totalité du Savoir de l’époque. Le système de spécialisation qui, dans les études comme dans la réalisation n’est en fait qu’un partage judicieux du travail, a permis les merveilles du progrès. Mais, en contrepartie, il a déshabitué l’homme de penser en profondeur, sauf dans sa branche. A son tour, cela conduisit à la formation déséquilibrée de l’homme d’élite contemporain: à côté de l’esprit critique très poussé, dans son subconscient se développa une crédulité insoupçonnée en ce qui déborde sa spécialité et les domaines avoisinants. Cependant, l’étude de la Tradition ésotérique — et la conquête des objectifs qu’elle poursuit — exigent, de par leur nature, une prudente circonspection et surtout une pensée en profondeur. Rien ne peut y être obtenu en pressant des « boutons ». Au contraire, cette crédulité avec laquelle, par exemple, nous composons le numéro de téléphone étant sûrs d’avoir aussitôt notre correspondant au bout du fil, appliquée au études ésotériques, est grosse des pires dangers. L’esprit critique, le discernement et le sain jugement du bon sens sont requis ici encore davantage que dans les études scientifiques positives. C’est parce que dans ces dernières, somme toute, le risque n’est pas grand. Il est limité par le simple insuccès, l’objet d’études étant toujours extérieur à l’étudiant. Par contre, dans les études ésotériques, l’étudiant et l’objet de ses études ne font plus qu’un. Alors que la philosophie positive étudie l’homme sous son aspect abstrait, la philosophie ésotérique étudie l’homme donné, notamment celui-là même qui aborde les études. La méthode de l’introspection pratiquée dans toutes les écoles ésotériques, ainsi que les exercices qui s’ensuivent portent immanquablement — et dès le début — une atteinte à la Personnalité de l’étudiant. Car c’est sur sa propre personnalité et non pas sur celle des autres ou sur des notions théoriques, qu’il est appelé à porter ses efforts — précisément en vue de sa transformation. Un homme méchant ou cruel peut faire, disons, une découverte scientifique. En matière ésotérique cela est impossible. Parce que, avant d’aborder le travail constructif, l’étudiant doit obligatoirement discipliner, puis équilibrer son psychisme, c’est-à-dire sa propre personnalité. Cela ne présente aucun danger si le travail se fait correctement et est mené à bien. Mais abandonné à mi-chemin ou conduit sous la direction d’un professeur incompétent, ou, pire encore, intéressé, cela peut conduire à des catastrophes. Une dissolution de la Personnalité — tel habituellement est le résultat. Malaise, dépression morale, pessimisme noir, manie de la persécution sont les symptômes de cette dissolution progressive. Dans des cas plus graves, cela peut conduire à un déséquilibre total allant jusqu’à la négation de Soi, ce qui ouvre le chemin vers le suicide. * * * L’analyse critique qui constitue la méthode de base de la science positive, fait également celle des études ésotériques. De sorte que la valeur scientifique de ces deux branches du savoir est absolument égale. Toutefois, il y a une différence d’application qui doit être signalée. Dans la science positive, un postulat peut être exposé et démontré publiquement parce que l’objet d’étude du savant ne fait pas un avec lui-même. Soumis à une sévère analyse critique par d’autres savants, sa thèse n’est admise par la science que lorsqu’elle a soutenu l’épreuve et n’a pas pu être rejetée. Dans les études ésotériques, la partie essentielle du travail se produit introspectivement dans le monde intérieur du chercheur. Et comme celui-ci et l’objet de ses recherches ne font qu’un, il est matériellement impossible de soumettre ses expériences intérieures à une démonstration académique. Cependant, lorsqu’en matière ésotérique on propose aux étudiants des postulats, on ne leur demande nullement de les accepter sur parole. Au contraire, on les engage instamment à fuir toute tendance à la crédulité. Mais étant donné que l’objet de leurs études appartient à leur monde intérieur — et comme, d’autre part, la nature de ces études, en grande partie les mène vers le nouveau, c’est-à-dire vers l’inconnu, on leur recommande de ne pas chercher d’emblée à démolir les postulats proposés pour les accepter ensuite, mais de chercher à s’y appuyer et à les confirmer par leur propre expérience, selon les méthodes indiquées. Et si en les appliquant consciencieusement et avec assiduité, ils ne parviennent pas aux résultats énoncés, alors ils auront le droit de les rejeter. L’esprit critique est donc requis dans les études ésotériques au même titre que dans les études positives. Mais tandis que celles-ci, partant du centre, par le rayonnement de la spécialisation cherchent à atteindre la circonférence dans tous ses points, celles-là, partant de la périphérie, tendent à gagner le centre. Il nous semble utile d’exposer ces quelques notions élémentaires afin de faciliter au lecteur qui ne serait pas familier avec cette matière, l’intelligence de la présente étude ayant pour objet: Ouspensky, Gurdjieff et les Fragments d’un enseignement inconnu. Lorsque, en 1951, je reçu le volume des Fragments d’un enseignement inconnu (2), j’éprouvai un sentiment mélangé. Autrefois, j’étais intime avec Ouspensky. Notre amitié avait pour base l’esprit de recherches qui nous animait tous les deux. En 1920-21, à Constantinople, j’ai assisté à ses conférences publiques, et c’est là qu’il m’a mis en rapport avec G.I. Gurdjieff. Là également j’ai pris connaissance du système dont ce dernier était le porte-parole; avec Ouspensky, nous l’avons discuté tant à Constantinople que plus tard à Paris et à Londres. Installé depuis 1921 en Angleterre, Ouspensky rédigeait ses Fragments. Il les écrivit en russe. Plus tard, il en confia la traduction à la baronne O.A. Rausch de Traubenberg, installée à Paris, et il me demanda de la contrôler. Ce travail avançait lentement au cours des années 1924 et suivantes — jusqu’au décès de Mme Rausch, morte de phtisie dans l’été 1928. Outre le contrôle de la traduction, Ouspensky me priait de lui communiquer mes objections critiques quant au fond. Je le fis volontiers, en partie dans mes lettres, mais surtout au cours de longs échanges de vues lorsqu’il venait de Londres à Paris. Si je m’occupais de son manuscrit, c’était d’une part pour lui rendre service, lui-même ne sachant pas bien le français; d’autre part, cela me donnait l’occasion de discuter avec lui tous les éléments du système. Or, nous n’étions pas toujours d’accord sur l’interprétation de certains de ses aspects, parfois sur leur sens profond. Toutefois, cela ne portait pas atteinte à notre amitié, nos discussions étant placées sous l’égide du principe: Amicus Plato, sed magis arnica veritas. * * * Ma dernière rencontre avec Ouspensky eut lieu en mai 1937 lorsque je suis allé le voir à Londres, — plus précisément au château de Lyne, non loin de la capitale, où il était installé avec ses disciples. Nous parlâmes, naturellement, des Fragments. J’étais hostile à leur publication. Il me semblait que la doctrine ésotérique, de par sa nature même, échappe à un exposé détaillé par écrit. C’est pour cette raison sans doute que l’apôtre St-Jean disait:... Si l’on écrivait en détail, je pense que le monde entier ne pourrait contenir les livres qu’on écrirait (3). Il faut dire qu’Ouspensky s’en rendait compte. Et il finit par partager ma manière de voir. La preuve en est qu’il n’a pas publié les Fragments bien que le texte fût achevé quelque vingt ans avant sa mort. Il y avait encore d’autres raisons à mon attitude négative. Ouspensky — et à plus forte raison son entourage — ne faisait pas de distinction nette entre le message et le messager. Cela ne veut pas dire qu’il n’en ait pas eu l’idée. Il en parle dans ses Fragments, quoiqu’en des termes qui trahissent sa faiblesse (4). Si, en 1924, après huit ans de travail avec Gurdjieff, il s’était séparé de lui, ce ne fut qu’une « séparation de corps », non pas un divorce en bonne et due forme. Ouspensky plaçait le messager, c’est-à-dire Gurdjieff, au centre d’événements dont le tourbillon l’emportait. Si bien qu’encore à Constantinople, en 1921, il le comparait à Socrate, laissant entendre que son rôle était celui de Platon. Or, Socrate fut un héros; et Gurdjieff était un bon-vivant. Il ne faut toutefois pas minimiser son mérite. On n’oubliera pas que Gurdjieff apporta son message en n’étant qu’un primaire, mais sans tomber dans des contradictions importantes avec lui-même. On mesurera l’étendue de son effort, en rappelant qu’Ouspensky, philosophe et écrivain de talent, mit au moins une dizaine d’années pour l’exposer et une décennie de plus pour les corrections et les rectifications nécessaires. Cependant, journaliste de métier, — et le premier métier laisse toujours une empreinte pour la vie —, sans s’en rendre compte, il communiqua aux Fragments le caractère d’un reportage conçu à la mode du XXe siècle, c’est-à-dire avec une forte nuance personnelle. Somme toute, les Fragments ne sont autre chose que « Gurdjieff vu par Ouspensky ». Or, l’essentiel était de transplanter le message dans le sol qui lui était propre afin qu’il pût étendre ses racines et porter des fruits. Bientôt il m’apparut clairement que, pour cela, il aurait fallu placer le message dans son contexte historique, et je me rendis compte que, sans cette condition, il était condamné à demeurer lettre morte. Pire encore, à engendrer de dangereuses déviations. Ce qui empêchait Ouspensky de prendre vis-à-vis de Gurdjieff une position claire, c’est-à-dire de s’occuper du message en laissant le messager à son aventure, avec ses qualités et défauts, c’est qu’il se trouvait sous une forte influence personnelle de celui-ci. Il n’a pu résister à cette influence pour plusieurs raisons. D’abord à cause de son caractère. Charmant — quoique sujet à des emportements — aimable, très habile dans la dialectique, ce n’était pas un homme fort. Et puis c’était un autodidacte. Il n’avait même pas achevé son instruction secondaire. Plein d’idées, cœur tendre, écrivain de talent, il n’était pas protégé intérieurement, par cette précieuse armure qui est la méthode scientifique. Tout en lui était flottant, donc ouvert à des influences extérieures. Et il fut très isolé dans la vie qui ne lui épargna pas les-déboires (5). Gurdjieff, par contre, quoique d’horizon limité, fut un homme de caractère ferme. Il s’imposa à Ouspensky. Celui-ci aspirait au merveilleux (6), et, dans sa crédulité un peu naïve, pensait toujours que derrière les idées, les postulats et les schémas — qui dans leur ensemble constituaient le message — il y avait encore une réserve inépuisable de toutes sortes de merveilles qu’il fallait cependant, comme il disait, « savoir tirer » de Gurdjieff. Or, comme on le verra plus loin, il n’y avait que du creux. Et de la « magie ». Ouspensky aspirait aux « faits » (7). Et, malgré quelques sautes d’humeur, il attendait ces faits de Gurdjieff avec une foi toute pure, toute naïve. Ainsi il se trouvait bien préparé à des suggestions hypnotiques, ce qui permit précisément à Gurdjieff de lui fournir les « faits voulus ». Et, par là, de river Ouspensky, pour plusieurs années à sa personne et de se servir de lui. Il lui était très utile — surtout pour trouver les fonds nécessaires à ses « Instituts » (8). On peut même dire sans exagération que, sans Ouspensky, la carrière de Gurdjieff en Occident n’eût pas dépassé probablement le stade des entretiens sans fin dans des cafés. L’empire de Gurdjieff sur Ouspensky fut dès le début calculé et savamment établi. Ouspensky raconte dans les Fragments (9) comment il l’avait attiré vers lui, puis consolidé ce lien. On sait qu’un individu normal et sain, s’il ne veut pas être hypnotisé, peut facilement résister aux efforts de l’hypnotiseur. C’est pourquoi, les hypnotiseurs professionnels cherchent à créer d’abord une « atmosphère ». Pour Gurdjieff — dans le cas d’Ouspensky, c’était d’autant plus facile que celui-ci, on le sait déjà, aspirait aux « faits » et cherchait le « merveilleux » avec toute la force virginale de sa crédulité ingénue, encore que lui-même se croyait très réaliste. L’emprise fut établie sur lui déjà à Moscou — puis en Finlande — et d’une façon si forte que plusieurs années après, lorsqu’il rédigeait les Fragments, il racontait tout bonnement comment Gurdjieff lui disait, à lui, auteur d’un traité remarquable de Tertiu Organum (10) qu’il ne comprenait pas ce qu’il avait écrit (11). On sait que lorsque la volonté de l’hypnotiseur est, pour ainsi dire, embrassée par le désir du patient, il est quasi impossible à un tiers de le déshypnotiser. Si bien qu’il était inutile d’essayer de démontrer à Ouspensky tout le ridicule d’une telle affirmation, sans parler de son insolence. L’hypnose exerçait ses redoutables effets. Les arguments du simple bon sens n’avaient pour lui dans ce cas, aucune valeur. Il s’irritait et disait que c’était moi qui n’y comprenait rien... Il ne savait pas — ce qui est paradoxal — qu’aucune connaissance supérieure ne va jamais à l’encontre du bon sens. Un jour nous nous trouvions, Ouspensky et moi à dîner chez Mme O.A. Rausch. Au sortir de table, le fils de la baronne, garçonnet de douze ans, s’approcha avec son album et demanda que nous y écrivions quelque chose. Il me tendit son album en premier. J’y écrivis ceci: Quoiqu’il t’arrive dans la vie, ne perds jamais de vue que deux fois deux font quatre. Je passai l’album à Ouspensky. Il écrivait sous ma sentence: Quoiqu’il t’arrive dans la vie, ne perds pas de vue que deux fois deux ne font jamais quatre... Boutade? — Certes ! — Mais sous l’aspect qui nous intéresse pour l’instant, Ouspensky s’y trouve tout entier. Il sourit et me jeta un regard malicieux. Alek lut ce que nous avions écrit, montra l’album à sa mère, puis le ferma et se retira dans sa chambre après nous avoir souhaité une bonne nuit. Sa mère qui connaissait fort bien Ouspensky, haussa légèrement les épaules, nous regarda l’un après l’autre et dit: — Eh bien! — dans vos maximes, je vous reconnais parfaitement tous deux. * * * Pour Gurdjieff, Ouspensky, comme d’ailleurs le système, était un moyen d’attirer à lui des gens sur lesquels il exerçait ensuite son influence directe. Ouspensky n’était pas le seul; d’autres personnes après lui jouaient encore le rôle de rabatteurs. Mais au temps où je faisais mes observations, Ouspensky fut sans conteste, la figure principale. Sur les gens qui tombaient dans son orbite, Gurdjieff exerçait son influence d’une manière très simple, voire brutale. Le contenu du message mis à part, ce fut ce qu’il appelait le Travail. Ce « travail », abstraction faite des « conversations » et des « exercices », consistait à persuader ses disciples qu’ils étaient littéralement zéro en chiffre. Il leur disait sans ambage — et en face —, à chacun d’entre eux — qu’ils n’étaient ni plus, ni moins que de l’ordure. Et les gens acceptaient cela. On m’a rapporté que, dans la dernière période, lorsqu’il avait déjà quitté Fontainebleau-Avon, pour Paris, il accentua ses expressions encore davantage, disant aux gens qui l’approchaient dans l’espoir d’y trouver une révélation, qu’ils n’étaient en fait qu’une simple « merdité ». Il ne faut toutefois pas trop s’étonner de ces faits. Sans parler de Cagliostro, l’histoire de « Maître Philippe » et celle de Raspoutine à la Cour de Russie nous fournissent des exemples encore plus frappants. Et il ne faut pas non plus croire que c’étaient des phénomènes spécifiquement russes, propres à la soi-disant « âme slave ». D’ailleurs, le « Maître Philippe » était un Français; et si Raspoutine fut un Russe, on n’oubliera pas que la famille impériale était de pur sang allemand. Les ducs de Holstein Gottorp, au cours d’un siècle et demi de règne en Russie, prenaient pour impératrices des princesses allemandes; aussi la Cour de Russie — leur entourage — finit par être fortement germanisée. Pourtant Raspoutine, paysan peu lettré, exerça sur l’impératrice, née Alice de Darmstadt, et sur Nicolas II, une influence décisive. Cette influence tenait sous son empire non seulement les courtisans, mais également plusieurs ministres, les hommes d’État, les députés faisant antichambre... Quel était le but poursuivi par Gurdjieff? — Personne ne l’a su. Il est aussi difficile de le dégager de ses actes que celui de Raspoutine. Ouspensky racontait — il le dit dans les Fragments — qu’au début il avait posé la question, à quoi Gurdjieff répondit: — J’ai certainement un but, mais vous me permettez de ne pas en parler. Car mon but ne peut encore rien signifier pour vous. Pour vous, ce qui compte maintenant, c’est que vous puissez définir votre propre but. Quant à l’enseignement même, il ne saurait avoir un but. Il ne fait qu’indiquer aux hommes le meilleur moyen d’atteindre leur but, quel qu’il soit (12). * * * Une autre question surgit tout naturellement: où a-t-il pris le contenu du message, ce système, comme nous disions, et qui porte en lui les traces incontestables d’une antique sagesse. Ouspensky, hanté par l’idée des écoles ésotériques dont il se faisait une représentation très personnelle — et qu’il allait chercher en « Orient », sans succès bien entendu, — croyait que Gurdjieff savait tout à peu près, lui demanda un jour de l’éclairer sur ce sujet. Voici ce qu’il en obtint: - Aujourd’hui, lui dit Gurdjieff, en Orient vous ne trouverez que des écoles spécialisées; il n’y a pas d’écoles générales. Chaque maître ou guru, est un spécialiste en quelque matière. L’un est astronome, l’autre sculpteur, le troisième musicien, et les élèves doivent étudier avant tout la matière qui est la spécialité de leur maître, après quoi ils passent à une autre matière et ainsi de suite. Cela prendrait un millier d’années pour tout étudier. - Mais vous, comment avez-vous étudié? - Je n’étais pas seul. Il y avait toutes sortes de spécialistes parmi nous. Chacun étudiait selon les méthodes de sa science particulière. Après quoi, lorsque nous nous réunissions, nous nous faisions part des résultats que nous avions obtenu. - Et où sont maintenant vos compagnons? Gurdjieff, continue le récit d’Ouspensky, demeura silencieux, puis, regardant au loin, il dit lentement: - Quelques-uns sont morts, d’autres poursuivent leurs travaux, d’autres sont cloîtrés. Cette expression, poursuit Ouspensky, de la langue monastique, entendue dans un moment où je m’y attendais si peu, me fit éprouver un sentiment de gêne étrange. Et soudain je me rendis compte que Gurdjieff menait un certain jeu avec moi, comme s’il essayait’ délibérément de me jeter de temps à autre un mot qui pût m’intéresser et orienter mes pensées dans une direction définie (13). Lorsque j’essayais de lui demander plus nettement où il avait trouvé ce qu’il savait, à quelle source il avait puisé ses connaissances, et jusqu’où elles s’étendaient, il ne me donnait pas de réponse directe (14). * * * En matière ésotérique, le mensonge ne peut pas couvrir et, en fait, ne couvre pas la totalité des relations humaines possibles. Il y a des secteurs où personne ne peut mentir. Ou, du moins, mentir intégralement. La dernière question posée par Ouspensky appartenait à ce secteur. Mais il ne connaissait pas cette loi, et pour cela certainement, n’a pas su non plus poser la question comme il le fallait. Un jour, assis avec Gurdjieff au Café de la Paix sur les Grands Boulevards à Paris, je lui ai dit, à brûle-pourpoint: — Je trouve le système à la base de la doctrine chrétienne. Que dites-vous à ce sujet ? — C’est l’ABC, me répondit-il. Mais eux, ils ne le comprennent point ! — Ce système est-il à vous ? — Non... — Où l’avez-vous trouvé ? — Où l’avez-vous pris? — Peut-être l’ai-je volé... (15). Il faut dire — pour mieux comprendre mes relations avec Gurdjieff — que j’occupais vis-à-vis de lui une position un peu spéciale. J’ai eu des contacts avec lui à Constantinople, Fontainebleau et à Paris, mais je n’ai jamais fait partie de ses « Instituts »; autrement dit je ne me suis jamais trouvé sous sa dépendance, quelle qu’elle fût. Ainsi, je me trouvais hors de la zone de son influence personnelle qui dominait son entourage immédiat. Et — il faut que le lecteur le sache — l’influence hypnotique, comme toute influence de la nature, est inversement proportionnelle au carré de la distance. Distance physique et psychique ou l’une ou l’autre. Or, les effets de cette influence de Gurdjieff sur son entourage immédiat étaient visibles. Il pouvait proposer à ses disciples n’importe quelle absurdité, voire même monstruosité, sûr d’avance qu’elle serait acceptée avec enthousiasme comme une révélation. Dans l’état psychologique ainsi créé, les gens ne raisonnaient plus. Tout était bon, parce qu’ainsi parlait Zarathustra (16). Ils ignoraient que c’était une méthode. Méthode bien connue partout en Orient où on cherche parfois à envelopper l’enseignement tendant vers la vérité d’une gaîne de scandales et des contradictions les plus choquants. Ceci dans le but final de trouver une résistance ; et dans le but immédiat de placer le disciple entre lés deux groupes de forces : d’attraction et de répulsion ; de provoquer ainsi en lui une inquiétude et, par là, la lutte intérieure la plus intense possible d’affirmations et de négations, ce frottement du langage technique appelé à engendrer la chaleur pour finir par allumer le feu (17). Car, dit la doctrine chrétienne, le chemin vers la vérité passe par les doutes. En faisant ainsi multiplier les doutes dans l’esprit et le cœur de l’étudiant, on lui offre l’occasion de franchir plus rapidement l’étape préliminaire. Cette méthode très efficace et dont les traces et les allusions se retrouvent aussi bien dans les évangiles que chez les apôtres et les docteurs de l’Église oecuménique, a cependant cet inconvénient qu’appliquée avec excès, elle désaxe complètement les gens. En Orient on ne s’en fait pas beaucoup de scrupules; on y considère généralement les désaxés comme une sorte de déchet de fabrication. Car, dit-on, notre vie n’est pas nous-mêmes et ne nous appartient pas; elle nous est prêtée précisément pour cette expérience majeure, et si elle n’a pas réussi, tant pis. La parabole des talents ne le dit-elle pas explicitement ? (18). Il faut dire aussi que tout en créant autour de lui — et avec beaucoup de savoir faire — une telle atmosphère, Gurdjieff lui-même donnait des avertissements. Il répétait avec malice que les gens aspirent à être dupes et qu’ils aiment croire à des légendes fabriquées par eux-mêmes. Cependant, ces avertissements demeuraient sans effet. Les uns n’y voyaient que des plaisanteries du maître ; les autres, tout en prenant ces maximes au sérieux, les appliquaient à leurs voisins; les troisièmes disaient qu’il fallait les prendre au sens supérieur... On comprendra aisément que lorsqu’un homme du dehors, comme moi, essayait d’élever la voix contre l’idolâtrie qui finissait par faire de Gurdjieff une sorte de Cagliostro ou de Raspoutine, on me regardait avec condescendance, voire avec compassion. * * * Dès le début, il m’a paru évident que pour que ce système pût être apporté à Moscou et à Pétrograd, il avait fallu qu’il passât par un long chemin historique — par des centres laïcs et religieux de l’Égypte, de la Grèce antique et de l’Asie Antérieure, pour se réfugier enfin au sein de l’Orthodoxie orientale sur le sol de la Russie — dernière survivante du monde antique disparu. D’ailleurs, telles étaient les quelques indications qui m’étaient parvenues des recherches faites dans ce domaine au cours des deuxième et troisième quarts du XIXe siècle par André Mouravieff qui consacra une grande partie de sa vie à des voyages dans le Proche Orient. Il fréquentait l’Égypte, les Lieux Saints, l’Asie Mineure, alla jusqu’en Arménie, au Kurdistan — à la recherche des anciens manuscrits et des anciennes traditions. Chambellan à la Cour impériale, Membre du Saint-Synode, il fonda au Mont-Athos le couvent de Saint-André avec une hôtellerie à Constantinople à l’intention des pélerins. Mort à Kiev en 1874, il légua à ses disciples préférés la mission de continuer les recherches dans la région de Kars, des lacs Ourmiah et Van, pour aller ensuite dans l’Azerbaidjan persan, puis en Asie Centrale (19). Compte tenu de cela, et poursuivant mes propres recherches ainsi que des études comparatives des éléments originaux de la culture russe avec les sources de l’Orthodoxie orientale, je suis finalement arrivé à placer le message apporté par Gurdjieff dans son contexte historique. Mais pour cela, j’étais obligé de remonter aux anciennes croyances slaves, préchrétiennes, d’établir leur rapport avec celles des Scythes, des anciens Indiens et anciens Égyptiens ; d’étudier des monuments tels que la Philocalie, de reprendre l’étude des textes des évangiles avec des clefs ainsi obtenues, enfin, le Psaume CXVIII du roi David qui, sous une forme compacte, renferme ce même système. Résultat de ces recherches, le message ne se présentait plus, pour moi, comme un monceau de « fragments », ni comme un « enseignement inconnu ». Placé dans son cadre historique et sur le sol qui lui est propre, il perdit son caractère sensationnel et son goût « exotique » — pour apparaître comme un fond de symboles, de paraboles et de diverses allusions répandues partout et connues de tous. Et, d’autres part, comme base des anciennes croyances des Slaves et des Scythes qui se retrouvent dans les traditions de l’Orthodoxie byzantin-russe. J’ai pu établir également que, dans le haut moyen âge, les, « fragments » avaient été connus aussi en Occident, hérités probablement, comme en Orient, des enseignements ésotériques du monde antique à travers le christianisme primitif. Certaines traces en existent toujours; elles constituent le fil conducteur qui attend des explorateurs. III La mort de Katherine Mansfield à l’« Institut » (20) produisit sur Ouspensky une forte impression et le détermina à rompre avec Gurdieff. Mais une impression encore plus forte lui vint de l’accident d’automobile survenu à Gurdjieff au croisement des routes nationales de Paris à Fontainebleau (N° 7) et de Versailles — Choisy-le-Roi (N° 168). Gurdjieff rentrait de Paris au Prieuré tout seul en voiture, dans la nuit. On ne sait pas la cause immédiate de cet accident ; mais le fait est qu’à une vitesse dépassant soixante à l’heure, il se jeta droit contre le tronc d’un arbre et fut grièvement blessé. Instruit de cela, quelques jours après, Ouspensky vint de Londres à Paris; et, tous les deux, nous allâmes sur les lieux de la catastrophe. Abattu, écrasé, après un silence prolongé, il me dit: — J’ai peur... C’est effroyable... L’Institut de Georges Ivanovitch fut créé pour échapper à l’influence de la loi du hasard sous laquelle on passe sa vie. Eh bien, voici que lui-même est tombé sous l’empire de cette même loi... Et il poursuivit: — Je me demande encore si c’est vraiment un, pur hasard? — Gurdjieff faisait toujours bon marché de la probité comme de la personnalité humaine en général. N’a-t-il pas dépassé la mesure? — Je vous le dis, j’ai terriblement peur! Silencieux, nous avons repris la route. A Fontainebleau nous nous sommes installés dans un restaurant pour déjeûner. Il m’a prié de téléphoner au Prieuré (21) pour demander à l’appareil sa belle-fille qui faisait partie des « philosophes de la forêt ». Mais elle n’était pas là. Au cours du déjeûner, Ouspensky revint à plus d’une reprise à la question de la valeur réelle de la probité. Visiblement, le problème constituait pour lui une sorte de point tournant. Et, à la suite d’associations, pour moi insondables, il liait la question de la probité à l’accident survenu à Gurdjieff. Cependant, nous l’avons dit, Ouspensky ne rompit avec Gurdjieff que, pour ainsi dire, physiquement. Et, après cela, il n’aimait pas revenir, du moins dans ses conversations avec moi, à l’analyse du « phénomène Gurdjieff ». Après quelques dérobades, je lui ai posé droit la question: pourquoi évitait-il cette sorte d’entretien qui, à mon avis, pouvait être instructif et d’où on pourrait tirer du moins une leçon. C’était le soir, tard, dans un bar de Montmartre où Ouspensky avait voulu terminer la soirée après un bon dîner dans un restaurant, place Saint-Michel. Soudain, son expression changea. J’eus l’impression que devant moi se trouvait un autre homme, et non plus celui avec qui j’avais passé toute une soirée agréable dans des conversations très intéressantes. Il se retourna brusquement vers moi et dit d’un ton étrange: — Imaginez que quelqu’un de la famille ait commis un délit. Dans la famille, on n’en parlera pas ! C’était mon tour d’être effrayé. J’ai senti qu’Ouspensky ne pouvait pas traiter ces questions. Il se heurtait en lui-même à une interdiction lorsqu’il les touchait. Effet hypnotique? — Je le répète, à ce moment j’ai eu le frisson dans le dos. * * * Il était clair que tout en se distançant de Gurdjieff, Ouspensky demeurait toujours lié à lui, et que ce lien lui avait été imposé. Et, une fois de plus, j’ai pensé que ce curieux phénomène, outre les particularités de son caractère, était dû à ce qu’Ouspensky n’avait pas eu en lui ce fondement solide que nous donne la formation académique. La méthode de la science positive, quelque peu différemment appliquée — on l’a vu —, demeure en pleine vigueur dans les recherches ésotériques, et constitue la seule garantie pour un intellectuel, lorsqu’il aborde cette sorte d’études. Ce qui précisément manquait à Ouspensky. Son épouse — type humain beaucoup plus volontaire, surtout plus autoritaire que son mari, était une fervente disciple de Gurdjieff — avant et après la rupture. Elle appartenait au groupe d’instructeurs : formés par ce dernier. Ces instructeurs produisaient une étrange impression. J’ai eu le privilège de les approcher en venant du dehors, et, au surplus, à de longs intervalles, pendant lesquels’ ils oubliaient, certes, ce qu’ils m’avaient dit. En matière de travail, c’était toujours le même refrain, calqué sur la formule du maître. Sans s’en rendre compte, ils prenaient parfois même un peu l’accent caucasien de Gurdjieff, en imitant sa manière de s’exprimer, d’exposer et de s’imposer. — Venu ici, disaient-ils, l’air condescendant, vous tombez dans une ambiance qui vous rend transparent. Vous êtes là comme si, tout nu, vous étiez placé sous une cloche de verre. Nous pouvons vous observer de tous côtés et sur tous les points! Des années après, cette histoire de la « cloche de verre » revenait toujours sur le tapis. Avec le même sourire, les mêmes expressions, les mêmes gestes. Comme des robots à l’intérieur desquels tournaient des disques enregistrés une fois pour toutes (22). Ils dormaient d’un sommeil hypnotique profond tout en se croyant éveillés. C’est la volonté du maître qui agissait en eux en leur faisant prononcer la leçon apprise par cœur... — Lorsque j’ai vu Georges Ivanovitch pour la première fois, me contait en 1937, à Lyne, Ouspenskaya — peut-être pour la dixième fois depuis Constantinople (1921), je lui ai dit: « Georges Ivanovitch, je vois en vous quelque chose de grand ! » Même phrase, mêmes intonations, mêmes gestes, même sourire toujours condescendant... * * * Ce qui déroutait les gens, c’est que ces paroles étaient justes. Les études ésotériques correctement conduites, mettent bientôt en évidence toute la mécanicité de notre psychisme, l’absence en nous du Moi stable et permanent, l’impossibilité pour nous, tels que nous sommes, de faire quelque chose ; car tout nous arrive. Seulement, paroles et actes, paraître et être — ce n’est pas la même chose. Il faut encore, tout verbiage et « disques » mis à part, déployer des efforts considérables, permanents et surtout conscients afin de se reconnaître d’abord, puis de vaincre cette mécanicité humaine pour devenir un homme consistant, maître de soi. Or, chez Gurdjieff, ou plutôt dans son entourage, ces idées bien connues dans les écoles ésotériques, et notamment dans la Tradition ésotérique de l’orthodoxie orientale, prenaient des nuances malsaines : non plus celles relatives à un objet d’études et de recherches en profondeur en vue de trouver — si possible — une issue à ce labyrinthe de notre personnalité, tissu de mensonges et de contradictions les plus extravagantes, mais celles d’un moyen, si je puis dire, brutal. Calculé pour faire perdre aux novices le peu qui leur restait encore de libre arbitre et de reflets de la conscience, soit le simple bon sens. Quant à Gurdjieff, il comptait seulement, avec les gens qui pouvaient lui opposer résistance. Il les estimait. Pour les autres, il nourissait un profond mépris — y compris pour ses instructeurs-automates. Surtout pour ceux qui vivaient auprès de lui en qualité de « travailleurs », c’est-à-dire qui étaient logés, nourris, blanchis à ses dépens. Aussi, parmi les gens que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans ces « Instituts » soit à Constantinople, soit à Fontainebleau, je n’ai pas vu de personnes qui, compte tenu de ce qui précède, fussent suffisamment préparées. Ouspensky seul fut, certes, préparé ; mais pour les raisons plus haut exposées, il fut neutralisé. L’impression produite par Gurdjieff sur Ouspensky — et l’empreinte qu’elle laissa sur lui pour la vie — est due aussi à ce qu’il prit connaissance du message ; n’étant toutefois pas apte à le recevoir correctement. Ce message n’était pas celui de Gurdjieff qui d’ailleurs ne le prétendit jamais. Il faisait partie de la Tradition ésotérique qui s’est conservée notamment, dans l’Orthodoxie orientale et qui remonte à l’ancienne Égypte, et par là, à des temps immémoriaux. Ouspensky connaissait passablement l’évangile, mais il connaissait mal la Doctrine, c’est-à-dire l’ensemble des commentaires laissés par les docteurs de l’Église œcuménique. Et autant que je sache, il n’a jamais été initié à la Tradition orale, autrement que par Gurdjieff. Fortement impressionné, il n’avait pourtant pas de point de repère autre que celui-là, ce qui le privait de la possibilité de faire des recoupements. Et il s’y précipita tête baissée, le message étant confondu dans son esprit avec le messager. Gardons-nous, toutefois, de conclusions par trop simplistes. La matière est subtile et exige un fin discernement. Rappelons-nous qu’une autorité telle que Jean Climaque (23) disait : Si tu vois dans ton guide, en tant qu’homme, des défauts, ne t’accroche pas à cela; suis ses préceptes, car autrement tu n’apprendras rien. Il faut donc être prudent dans nos jugements. * * * Pour voir clair dans ce qu’on peut appeler l’œuvre de Gurdjieff, il faut distinguer trois catégories d’éléments: 1) les fragments de la Tradition ésotérique chrétienne ; 2) quelques fragments de certaines traditions musulmanes ; 3) ses idées et ses créations propres. Au point de vue ésotérique, les deux dernières catégories ne présentent pas d’intérêts comme contenu, ni comme méthode d’application. Ce qui a été apporté par lui des traditions musulmanes peut présenter un certain intérêt artistique. Quant à la troisième catégorie, son intérêt est nul. Sauf la curiosité que représente le « phénomène Gurdjieff » comme tel qui s’est avéré possible dans les milieux cultivés de notre époque étant sous certains aspects analogue au « phénomène Raspoutine », encore plus incroyable, et qui pourtant fut réel. Gurdjieff laissa un ouvrage, publié par les soins de ses disciples, d’abord en anglais, puis en français, sous le titre: Récits de Belzébuth à son petit-fils » et avec le sous-titre: Critique objectivement impartiale de la vie des hommes (24). La lecture de ce « récit-fleuve » « interplanétaire » rappelle les romans de Mme Krzanowska (Rochester), couronnés par l’Académie française, et qui étaient très goûtés de la jeunesse en Russie avant la première guerre mondiale. Il s’agissait aussi de voyages interplanétaires, d’excursions dans le passé insondable ainsi que dans l’avenir dépassant le XXIe siècle. Mais quelle richesse d’imagination, quel métier d’écrivain! — A côté des Mages, du Chancelier de Fer de l’ancienne Égypte, de la Toile d’araignée et de bien d’autres, le pauvre Belzébuth fait figure minable. La lecture attentive — et fatigante — de ces pages sans fin nous a révélé, en somme, peut-être une cinquantaine d’intéressantes, se rattachant toutes, à la première catégorie plus haut indiquée. Le reste est un amas abracadabrant avec des détails puérils, comme, par exemple, la description d’appareils physiques extraordinaires ou l’invention du piano à queue, bonne peut-être pour des garçonnets de dix ans. La comparaison avec les romans de Krzanowska est intéressante encore en ceci que la romancière, bien avant l’apparition de Gurdjieff à l’horizon de Moscou et de Pétrograd, utilisa dans ses romans le thème de la « lutte des Mages » comme celui des « Reflets de la Vérité », thèmes sur lesquels Gurdjieff avait voulu créer ses deux « ballets ». Tentative jamais sortie du stade des travaux et des essais préparatoires. Deux séries d’œuvres posthumes sont encore annoncées. Il est certes prématuré d’en parler. Quant à la première catégorie d’éléments apportés par Gurdjieff dont la valeur est incontestable et qui constitue le contenu de ce que nous avons appelé son message, ils furent exposés par Ouspensky dans ses Fragments d’un enseignement inconnu. Nous y reviendrons plus loin. * * * Gurdjieff est mort d’hydropisie, à Paris, en octobre 1949. La version officielle est qu’on lui avait enlevé le liquide d’une manière trop rapide — quelque onze litres à la fois — et que cela était la cause immédiate de sa mort. Cependant, dans ses mémoires, Mme Dorothy Caruso, veuve du célèbre ténor, parle encore d’autre chose. Son témoignage est d’autant plus intéressant qu’elle appartenait au camp d’admiratrices du feu « thaumaturge ». Son récit ne nie nullement le fait de l’hydropisie, ni l’enlèvement trop brusque du liquide. Mais elle parle d’un accident automobile survenu relativement peu avant la mort de Gurdjieff et relate « qu’il avait des côtes fracturées, des blessures au visage et aux mains, de nombreuses contusions » etc. C’était, somme toute, à ma connaisance, au moins le troisième accident automobile survenu à Gurdjieff (25). Etait-ce le simple jeu de la ‘loi du hassard’ — ce qui peut arriver à tout mortel – ou bien l’effet de causes profondes — idée qui avait mis Ouspensky dans l’effroi lors du premier accident sur la route de Fontainebleau ? On se rappellera à cette occasion les paroles de l’apôtre St Paul: - Ne vous trompez pas: on ne se moque pas de Dieu. Ce que l’homme aura semé, il le moissonnera aussi (26). IV Revenons à présent de Gurdjieff à Ouspensky, notamment à ses Fragments. En travaillant à cet ouvrage, Ouspensky donna son maximum. Or, nous l’avons déjà remarqué, le point faible de ce travail consiste en son caractère par trop personnel et en son style de reportage. A vrai dire, ce volume devrait être récrit en éliminant tout ce qui lui donne un aspect subjectif. Réduit de moitié, il gagnerait beaucoup. Mais ce n’est pas tout. Le message transmis par la Tradition ésotérique tel qu’il est exposé partiellement dans les Fragments par Ouspensky, comprend tout un système de schémas. Ces schémas furent créés - on ne sait par qui et quand - pour faciliter aux étudiants l’intelligence des notions et des représentations nouvelles qui exigent, pour être saisies et assimilées, des efforts nouveaux, par définition, difficiles. Sur cela se greffe une autre difficulté. Les études positives sont basées sur le principe d’information. Pour chaque matière, l’étudiant assimile une certaine quantité de données exigées par le programme. Le travail créateur n’est pas obligatoire. Dans l’enseignement ésotérique, le travail créateur est exigé dès les premiers pas. Sans efforts créateurs, efforts conscients, l’étudiant ne pourra jamais aller bien loin. Dans ce domaine - comme dans des Instituts de recherches - on est appelé à conquérir le savoir. Le professeur expose la matière dans les limites strictes nécessaires et suffisantes pour que l’étudiant puisse aller, dans chaque cas, plus loin et en profondeur par ses propres efforts créateurs. N’oublions pas qu’en matière ésotérique, l’objet d’étude et l’étudiant ne font qu’un. Par la méthode de l’observation introspective, le professeur introduit graduellement l’étudiant dans son monde intérieur où il doit travailler comme travaille un savant dans son laboratoire de recherches, avide de découvertes nouvelles. Il ne suffit certes pas d’y accumuler des informations. On peut, par exemple, apprendre l’évangile par cœur, mais on n’en deviendra pas un saint. Il faut aller en profondeur. En matière ésotérique, l’étudiant doit apprendre à penser en vrille — pour percer. * * * C’est pour cela que nous sommes restés perplexes devant le volume des Fragments d’un enseignement inconnu. je ne sais qui, en dernier lieu, préparait le texte de l’œuvre posthume pour l’impression. Sans entrer dans l’analyse critique dés passages dont la rédaction paraît douteuse, j’ai constaté que même certains des schémas qui l’accompagnent sont défectueux. D’autres manquent complètement. Je ne pense pas qu’Ouspensky lui-même les ait déformés ou omis. En tout cas, il ne m’en avait jamais parlé. Le fait est important. Prenons par exemple le schéma placé ci-dessous qui, pour celui qui aborde les études ésotériques est le plus important. On verra tout de suite qu’il n’est pas complet, et au surplus, accuse de grossières erreurs. Voici d’abord le diagramme tel qu’il figure dans les Fragments, avec la légende qui l’accompagne: (p. 289)
* * * Rappelons en passant que les diagrammes du système, comme la plupart des textes et monuments ésotériques, sont conçus de telle sorte qu’ils cachent en eux-mêmes le ou les moyens permettant de vérifier leur authenticité et de relever les erreurs des « scribes et traducteurs ». Sans cela, évidemment, leur transmission à travers les siècles et les civilisations éteintes serait impossible. En même temps ces moyens de contrôle offrent à l’étudiant attentif la possibilité d’aller au delà du sens apparent pour saisir le sens plus profond. On ne doit pas s’en étonner. Cette méthode se trouve à la base de tout enseignement ésotérique qui exige des étudiants une attention particulièrement accrue, attachée dans la même mesure à l’ensemble du monument ou texte étudié et à ses menus détails. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil rapide, par exemple, sur le célèbre bas-relief d’Éleusis, attribué à Phidias, représentant l’envoi de Triptolème, reproduit ci-contre. Dans cette scène bien connue, décrite et interprétée à maintes reprises, on n’attache généralement pas d’importance au geste de Perséphone qui tient son index courbé d’une manière intentionnelle, sur le sinciput de Triptolème. Pourrait-on vraiment croire que ce n’est que l’effet d’un simple jeu de la fantaisie de l’artiste? — Étant donné surtout qu’il n’y a pas l’ombre d’un doute que l’auteur de ce chef-d’œuvre lui-même dut être un épopte, c’est-à-dire un initié aux grands mystères d’Éleusis. Au demeurant, ce geste constitue la clef permettant l’accès au sens profond de cette icône. Remarquons que le terme épopte veut dire voyant ; songeons que d’après lès enseignements orientaux, la glande pinéale, située précisément au point qu’indique avec insistance le doigt de Perséphone, dûment développée par des exercices appropriés, constitue l’organe de la clairvoyance. Partant de cette indication, on pourra déchiffrer progressivement le sens d’autres détails du tableau pour saisir enfin la signification profonde, — celle qui avait été réservée au initiés — de l’ensemble de la composition (27). On dit que l’évangile est un livre fermé par sept serrures ; c’est-à-dire que, pour aller au sens intégral de ce monument, il est nécessaire de trouver les sept clefs consécutives susceptibles de l’ouvrir. Or, la première clef est donnée — pour chacun d’entre eux — dans les images symboliques qui accompagnent sur les icônes celles des évangélistes : Homme, Lion ailé, Taureau et Aigle. Ces mêmes images accompagnent l’Ennéagramme, schéma de base exposé dans les Fragments qui renferme en lui tout le système. Enfin, on trouve les mêmes symboles sur l’armure d’Auguste et des premiers empereurs romains. Quant aux nombres de 3 et 9, sur lesquels repose l’Ennéagramme, ainsi que le message tout entier, ils se retrouvent dans les traditions ésotériques du monde entier. On se rappellera, par exemple, le célèbre mur à neuf dragons du palais impérial de Pékin, le plan traditionnel des habitations de certaines tribus nègres du côté de l’Ethiopie et d’autres données encore. En ce qui concerne la Russie, il est connu que les nombres de 3 et 9 et de 3 x 9, figurent dans à peu près tous les anciens contes populaires (28). De même, la liturgie orthodoxe est conçue sur la base de neuf points fixes, entre lesquels interviennent des éléments variables — selon les saisons, jours, fêtes à célébrer, saints à vénérer. La Cathédrale de St Basile le Bienheureux, érigée au Kremlin en 1550-1560 par Ivan IV le Redoutable en commémoration de sa victoire de Kazan, — ce chef-d’œuvre de l’architecture russe, création de Barma et Postnik —, représente un complexe de neuf églises l’une à côté de l’autre, couronnées par neuf dômes en bulbes. N’oublions pas non plus que les cérémonies des mystères d’Éleusis duraient neuf jours, enfin qu’Apollon Musagète présidait un ensemble de neuf Muses. Revenons au schéma soumis à notre analyse. Voici son aspect exact:
La différence entre les deux diagrammes saute aux yeux. Passons aux commentaires: — Ces flèches représentent les influences créées dans la vie par la vie même. C’est une première sorte d’influences, dites influences A. On remarquera que les flèches noires couvrent d’une manière à peu près égale toute la superficie du cercle de la vie. Comme dans le cas de toutes les forces rayonnantes de la nature, leur effet est inversement proportionnel au carré de la distance ; ainsi, l’homme subit surtout l’influence des flèches de son entourage immédiat, et est entraîné à chaque instant, par leur résultante du moment. L’influence des flèches A sur l’homme extérieur est impérative ; poussé, il erre dans le cercle de sa vie depuis la naissance jusqu’à la mort. L’ensemble d’influences A forme la loi du hassard, sous l’empire de laquelle est placé le sort humain. Or, en examinant le schéma de plus près, on s’apercevra que chaque flèche noire se neutralise étant contre-balancée quelque part par une autre, égale en force et diamétralement opposée, — si bien que si on les avait laissées se neutraliser effectivement, leur résultante générale aurait été égale à zéro. Cela signifie que, dans leur ensemble, les influences A sont de nature illusoire quoique leur effet soit réel ; pour cela, généralement, l’homme les prend pour la seule réalité de la vie. — Centre ésotérique placé hors des lois générales de la vie. — Influences B. Ce sont les influences qui sont jetées dans le tourbillon de la vie du Centre ésotérique. Créées en dehors de la vie, ces influences sont représentées dans le schéma par des flèches blanches. Ces flèches sont toutes orientées dans la même direction. Dans leur ensemble, elles forment une sorte de champ magnétique. Etant donné que les influences A se neutralisent, les influences B constituent en fait la seule réalité de la vie. — Homme, pris isolément. Il est représenté dans le schéma par un petit cercle en hachures. Cela veut dire que la nature de l’homme involutif n’est pas homogène; elle est mélangée. Si l’homme passe sa vie sans distinguer les influences A et B, il la terminera, comme il l’avait commencée, c’est-à-dire mécaniquement, mu par la loi du hasard. Cependant, en fonction de la nature et de la force des résultantes du moment, sous l’égide desquelles il sera soumis, il pourra même faire une brillante carrière, devenir député, ministre, savant, prononcer de remarquables discours, écrire des livres. Mais il parviendra à la fin sans avoir rien appris, ni compris du réel. Et « la terre reviendra à la Terre ». Dans la vie, chaque individu est en fait soumis à une sorte d’épreuve de concours. S’il discerne l’existence des influences B, s’il prend le goût de les recueillir et de les absorber, s’il aspire à les assimiler toujours davantage, — sa nature intérieure mélangée commencera à subir petit a petit une certaine évolution. Et si ses efforts pour absorber les influences B sont constants et suffisants en force, un centre magnétique pourrait se former en lui. Ce centre magnétique est représenté dans le schéma par le petit espace blanc. Si, une fois né en lui, et étant soigneusement développé, ce centre prend corps, il exercera à son tour une influence sur les résultantes des flèches A, toujours en fonction. De sorte qu’il en sortira une déviation. Cette déviation peut être violente. Elle constitue une transgression de la Loi générale de la vie, et provoque en l’homme et autour de lui des conflits. S’il perd la bataille, il en sort avec la conviction que les influences B ne sont qu’une illusion, et que la seule réalité qui existe est représentée par, les influences A. Petit à petit, le centre magnétique qui s’était formé en lui, se résorbera et disparaîtra. Alors sa situation nouvelle sera pire que celle d’autrefois, lorsqu’il avait à peine discerné les influences B. Mais s’il sort vainqueur de cette première lutte, son centre magnétique, consolidé et renforcé, l’attirera vers un homme d’influence C, — plus fort que lui et possédant un centre magnétique plus puissant. Ainsi, par voie de succession, celui-ci étant en rapport avec un homme d’influence D, il sera relié au Centre ésotérique E. Désormais, dans la vie, l’homme ne sera plus isolé. Certes, il continuera à vivre comme auparavant sous l’action des influences A qui longtemps encore exerceront sur lui leur empire ; cependant, petit à petit, grâce à l’effet de l’influence en chaîne B-C-D-E, son centre magnétique se développera de plus en plus, et, au fur et à mesure de sa croissance, il sortira de l’empire de la loi du hassard pour entrer dans le domaine de la conscience. S’il parvient à ce résultat avant sa mort, il pourra dire que sa vie n’aura par été vécue en vain. * * * Examinons à présent le même diagramme, mais sous un aspect différent:
Ce second schéma, avec les centres magnétiques noirs, représente le cas où l’homme se trompe, et où croyant absorber les influences B, absorbe, en faisant la sélection, celles des influences A, flèches noires, qui sont en quelque sorte parallèles aux flèches blanches des influences B. Cela le mettra également en rapport avec des gens possédant des centres magnétiques de cette même nature qui, eux-mêmes, se trompent ou trompent les autres n’ayant aucun lien direct, ni indirect avec le Centre ésotérique. * * * Dernière remarque. Quelle est la garantie pour l’homme de ne pas se tromper et de ne pas tomber dans le deuxième cas? La réponse est simple : la pureté du centre magnétique doit être scrupuleusement observée dès le début et tout le long de son chemin d’évolution. * * * La description proposée du schéma en question n’est pas exhaustive. D’autres commentaires sont encore possibles, - et les personnes qui étudient le Système avec assiduité sont appelées à le méditer pour pouvoir aller davantage en profondeur. Réflexion faite, elles s’apercevront que ce schéma comprend toute une série de lois de la vie humaine, exposées dans les évangiles sous forme de paraboles et d’allusions. V La présente étude, nécessairement brève, ne prétend pas donner une analyse complète du « phénomène Gurdjieff » ainsi que de l’œuvre d’Ouspensky. L’auteur sera amplement satisfait si, tombé sous les yeux des lecteurs ou disciples de l’un comme de l’autre, il les incite à repenser leurs impressions ou leurs expériences. Je l’ai écrit également à l’intention de mes propres étudiants de l’Université de Genève qui, depuis trois ans, suivent mes cours sur la Tradition ésotérique dans l’Orthodoxie orientale. Pour ma part, j’ai toujours cru — surtout après la catastrophe automobile de 1924 — que le cas Gurdjieff était une faillite. Fut-il séduit par l’argent, par les femmes ou bien par le mirage du « pouvoir »? — Il évoquait pour moi l’image d’un ange déchu. Parfois, il me semblait aussi qu’il cherchait la résistance — et ne la trouvait point.… Gurdjieff n’avait pas le don de clairvoyance. Mais à Constantinople, il voulut enrichir son « Institut » en s’associant une célèbre voyante, médium très fort, épouse d’un diplomate russe. Dès les premiers contacts, elle déclina péremptoirement toute collaboration avec lui. Je crois aussi qu’après sa première catastrophe automobile — sans parler d’autres — Gurdjieff n’a pas recouvré intégralement ses capacités physiques et morales. Et si l’on admet que cet accident fut déjà le résultat des déviations précédentes — puisqu’il fut suivi d’autres, — il faut bien conclure que jusqu’à la fin l’esprit de déviation n’a pas été surmonté par lui. Somme toute, ce n’était pas un « thaumaturge » comme Cagliostro ou Raspoutine. Les thaumaturges réels de ce genre ne meurent pas. On les tue. Gurdjieff était de moindre envergure ; il est mort, comme on le sait, d’hydropisie. — Que voulez-vous? disait-il avec véhémence aux nouveaux venus. — Vous voulez crever comme un chien? Ceci pour leur dire ensuite qu’il existe un moyen d’y échapper, et que ce moyen — il le détenait. A-t-il échappé lui-même? Quant à Ouspensky, il est mort du fait que ses reins cessèrent de fonctionner. A quoi cela fut-il dû? — Peut être à ce qu’il prenait trop de vin et d’alcool? — Dans les années vingt, lorsqu’il venait souvent de Londres à Paris, un dîner avec lui était obligatoirement suivi d’une veillée à Montmartre accompagnée de libations. Tels,>sont les faits. Et ces faits sont tristes. C’est parce que les recherches ésotériques offrent un chemin particulièrement difficile, périlleux même. Au fur et à mesure que l’étudiant avance, surgissent devant lui des obstacles et des séductions - prélésti de la Tradition orthodoxe. Ils se produisent sur divers plans et chaque fois, d’une manière inattendue. Ce sont des épreuves. Elles arrivent parfois sous forme agréable: femmes, argent, succès immérités suivis, bien entendu, d’orgueil et de vanité. Parfois, si cela ne réussit pas, elle prennent une forme désagréable, principalement par le truchement des proches. N’est-il pas dit: L’homme aura pour ennemis les gens de sa maison? (29)... Il suffit de tomber dans le piège, où l’on disparaît comme dans une trappe, pour que tout soit à recommencer à zéro. Et ce sera encore plus difficile. Ou bien, si la séduction est agréable, ne serait-ce qu’en apparence, on quitte le droit chemin pour suivre le sentier du péril... La loi est formelle: il n’existe pas de solution intermédiaire. * * * Question pratique: quelle doit être l’attitude des étudiants envers le « phénomène Gurdjieff » et les Fragments d’Ouspensky? –« Le lecteur attentif trouvera facilement lui-même la réponse dans le contenu de notre exposé : il faut, dans le premier cas, séparer le message du messager, et, dans le second, aller au delà de l’information. L’exemple donné plus haut démontre qu’avec cela, on arrive à découvrir et à éliminer les erreurs. Il y a une fable qui court partout en Orient. On raconte qu’il existe une race de cygnes particulièrement nobles, celle du Cygne Royal. Et on dit que si l’on pose devant lui un récipient rempli de lait étendu dans l’eau, il sépare le lait, le boit, et laisse l’eau. Telle doit être l’attitude des étudiants. Enfin, ceux parmi eux qui ont profité — ou qui profitent — du message doivent être reconnaissants au messager et à son interprète. S’ils savent prier, — qu’ils prient pour le salut de leur âme! (1) Fragments d’un Enseignement inconnu, par P.D. Ouspensky, Ed. Stock, 1950. Dans la Notice des Editeurs on lit les lignes suivantes: Un vaste système cosmogonique... une physiologie et une psychologie entièrement inconnues (en Occident B.M.) un ensemble de techniques permettant à l’homme d’acquérir, par un travail sur soi, une véritable liberté voilà ce que le lecteur trouvera dans et ouvrage. (2) P.D. Ouspensky, Fragments d’un Enseignement inconnu, Editions Stock, Paris 1950. (3) Jean, XXI, 25. (4) Fragments, p. 519 et suiv. (5) La Cinémodrame d’Ouspensky n’est autre chose que sa propre biographie concernant la première partie de sa vie. Là on voit comment et pourquoi il n’a pas reçu de formation intellectuelle supérieure, ni même secondaire. (6) Cf. Fragments, pp. 45, 369, 370. (7) Ibid., pp. 45, 369. (8) Ouspensky le dit lui-même. Il eut cette idée dès le début de sa rencontre avec Gurdjieff (Ibid., p. 31). Lui était-elle suggérée par celui-ci ? (9) Op. cit., p. 31 et passim. (10) Op. cit., p. 41. Titre prétentieux. Ouspensky l’avait choisi pour placer ce travail en ligne de succession après l’Organon, d’Aristote, et Novum Organum, de Bacon. (11) Ibid. (12) Fragments, p. 149. C’est nous qui soulignons. (13) C’est ainsi qu’on exerce l’influence hypnotique sans plonger le sujet en transe. (14) Fragments, p. 35-36. (15) Comparer à p. 83 des Fragments, deuxième alinéa, lignes 6 et 7. (16) A comparer ce phénomène avec celui décrit au Village de Stepantchikovo par Dostojevsky. (17) Ce feu intérieur est nécessaire pour parvenir à l’alliage, à la suite de quoi le Moi de l’homme devient entier et permanent. (18) Matthieu, XXV, 24-30 (19) Nous revenons à cela dans un ouvrage actuellement en préparation. B.M. (20) Fragments, pp. 534, 535. (21) Ouspensky se gardait de divulguer sa présence à Fontainebleau. (22) Fragments, pp. 384, 385, puis 371. (23) Docteur de l’Eglise, né en Palestine vers 525, mort en 605. Fut supérieur de monastère du Mont Sinaï. Son principal ouvrage est les Climaux ou Échelle. De cet ouvrage a été tiré son surnom. (24) All and Everything, version anglaise et Ail und Alles, version allemande. Version française parue en 1956, Paris, Ed. Janus, elle comprend 1.178 pages de texte. (25) En dehors de celui de 1924, il y en eut encore un, survenu à Paris en 1932, lorsque Gurdjieff circulait en voiture avec le Dr. L.R. de Stjiernvall. (26) Galates, VI, 7. (27) On prétend que la glande pinéale, dûment développée, prend une forme bulbeuse. C’est ainsi que la tradition architecturale russe donne aux dômes des églises cette forme si caractéristique. (28) Cf. l’intéressant article de J. Polivka: « Les Nombres 9 et 3 X 9 dans les Contes des Slaves de l’Est », dans la Revue des Etudes Slaves, Paris, 1927, t. VII, pp. 217-223. Cf. également Afanassieff, Représentations poétiques de la Nature chez les Slaves anciens (en russe), en 3 vol., St-Pétersbourg 1865-69. (29) Mathieu, X, 36 ; Michée, VII, 6. CENTRE
D’ETUDES CHRETIENNES ESOTERIQUES Extrait de la Revue « Synthèses », no 138, 1957
En tant que propriétaires et éditeurs de ces pages, nous souhaitons souligner que le matériel présenté ici est le fruit de notre recherche et de notre expérimentation en communication supraluminique. Nous nous demandons parfois si les Cassiopéens sont ce qu¹ils prétendent être, parce que nous ne tenons rien pour vérité indiscutable. Nous prenons tout "cum granulo salis", même si nous considérons qu¹il y a de bonnes chances que ce soit la vérité. Nous analysons constamment ce matériel ainsi que beaucoup d¹autres qui attirent notre attention, issus de divers domaines de la Science et du mysticisme. Honnêtement, nous ne savons pas CE QU'EST la vérité, mais nous croyons qu¹elle est « quelque part par là» et que nous pouvons sans doute en découvrir une partie. Oui, nous pouvons dire que nos vies ont été enrichies par ces contacts, mais certains éléments nous ont aussi rendus perplexes et nous ont désorientés, et ils restent encore à être clarifiés. Nous avons certes trouvé beaucoup de «confirmations» et de « corroborations » dans d¹autres domaines, entre autres la Science et l¹Histoire, mais il y a aussi de nombreux éléments qui, par nature, sont invérifiables. C¹est pourquoi nous invitons le lecteur à partager notre recherche de la Vérité en lisant avec un esprit ouvert, mais sceptique. Nous n¹encourageons pas « l'adepte-isme », ni aucune « Vraie Croyance ». Nous ENCOURAGEONS la recherche de la Connaissance et de la Conscience dans tous les domaines qui en valent la peine, comme le meilleur moyen de discerner le mensonge de la vérité. Voici ce que nous pouvons dire au lecteur: nous travaillons très dur, plusieurs heures par jour, et nous le faisons depuis de nombreuses années, pour découvrir la raison de notre existence sur Terre. C¹est notre vocation, notre queste, notre mission. Nous recherchons constamment à valider et/ou à affiner ce que nous envisageons comme possible, probable, ou les deux. Nous faisons cela avec l¹espoir sincère que toute l¹humanité pourra en bénéficier, si ce n¹est maintenant, alors dans un de nos futurs probables. Contactez l¹administrateur
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